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Per aspera ad astra
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1 février 2020

Handicapés, de la culpabilité à vivre. Partie 1

 

 

A silent voice

L'image représente Shoko, personnage principal de A Silent Voice, Elle est appuyée sur un grillage, regarde vers le ciel et est entourée de paquerettes. 

 Pardon. 

Un mot banal pas vrai ? Pourtant, il n'est pas si anodin. Il exprime un sentiment de culpabilité qui peut être justifié... ou non.

Je ne vais pas parler ici des excusesque l'on doit à quelqu'un lorsqu'on l'a réellement blessé. Savoir s'excuser dans certaines circonstances est nécessaire pour préserver les relations humaines. Ce n'est pas le sujet de mon billet.

Je veux évoquer le sentiment de culpabilité excessif que ressentent nombre de personnes handicapées dans leur quotidien. Bien sûr, se sentir coupable sans raison valable peut arriver à tout le monde. Ce n'est pas spécifique aux personnes handicapées.

Pourtant, nous devons faire face à une forme de culpabilité bien spécifique ; la culpabilité d'être « inadapté » dans une société valide et validiste.

En réalité, il aurait été plus exact de nommer mon billet : « La culpabilisation faite aux personnes handicapées ». Selon le dictionnaire Larousse, il y a, en effet, une différence majeure entre culpabilité et culpabilisation. La culpabilité se définit comme « le sentiment de faute ressenti par un sujet, que celui-ci soit réel ou imaginé ». Au contraire, la culpabilisation, c'est l'action de culpabiliser quelqu'un d'autre, c'est-à-dire de « Faire éprouver à quelqu'un un sentiment de culpabilité ». 

Autrement dit, la culpabilité vient de soi tandis que la culpabilisation vient des autres.

Or, dans de très nombreuses circonstances, les personnes handicapées sont vues commedes poids pour autrui. On nous en veut d'être là, d'imposer notre présence et les contraintes qui vont avec. De nécessiter des aides, de l'attention, du temps.

Je vais vous donner quelques exemples :

  • J'ai pratiqué l'équitation pendant plus de 15 ans. J'avais environ 9 ans quand une gamine de mon cours m'a dit que je la gênais. Qu'avec mon handicap, je n'avais pas ma place dans le groupe, que j'étais nulle, que je les retardais. Je précise que c'était totalement gratuit, qu'on ne s'était absolument pas disputé auparavant. Cela lui est venu d'un coup, avec la spontanéité des enfants.

On va être honnête, concernant ma « nullité », c'était vrai. J'ai toujours eu beaucoup de difficultés à cheval. Mais peu importe mon niveau, j'avais le droit d'être là. Je payais mon inscription comme tout le monde et je faisais de mon mieux. Elle venait de m'insulter. J'aurais donc dû être fâchée, non ? Cela aurait été la réaction normale. Savez-vous ce que j'ai fait à la place ? Je me suis sentie mal et je me suis excusée.

 

  • Je pourrais citer encore ces professeures ou cette AESH qui se sont tout simplement « lassées » de s'occuper de moi, de m'avoir dans leur classe et qui me l'ont fait payer par des comportements de maltraitance et de harcèlement (Cela m'est arrivée à 2 reprises. D'abord, à l'âge de 2 ans puis à l'âge de 7 ans.) Ne pas comprendre. S'en vouloir. 

  • Cette élève de seconde qui me dit un jour que mon ordinateur la gêne parce qu'il « fait trop de bruit ». Me suis-je encore excusée ? Oui. 

  • Plus récemment, cette personne de ma famille chez qui j'ai dû loger pour passer mes examens universitaires parce que j'avais besoin d'aide pour y aller. Et qui m'a répété avec insistance à quel point ça la « fatiguait » de devoir m'accompagner jusqu'à la porte de l'université (balade de 10 minutes en métro pendant une semaine et cette personne ne travaille pas). ça l'a tellement « fatiguée » qu'elle m'a mise dehors à 10 h du soir la veille de mon dernier jour parce qu'elle n'en pouvait plus, paraît-il. Et c'est moi qui me suis sentie coupable de lui avoir imposé ça.

  • Parfois, on se sent aussi coupables de demander des aménagements en classe. On ne veut pas déranger le prof, on ne veut pas le forcer à plus de travail. C'est cette peur de gêner qui pousse certains élèves à refuser les aménagements.

Je ne dis pas que les gens sont forcément « méchants ». En tout cas, pas immédiatement. Ils sont souventc onscients qu'on ne peut pas faire autrement. Mais même en sachant cela, nous représentons une contrainte. Qui n'est pas occasionnelle mais constante, régulière, répétée. Qu'on supporte bien au début, avec sourire et bienveillance. Puis, le temps passant, on se lasse. On s'agace. Imperceptiblement, on commence à se fatiguer et cela se sent. Parfois, cela finit très mal.

 

C'est pourquoi, j'ai souvent l'impression que la qualité et la durée de mes interactions avec les gens sont déterminées par le nombre de contraintes que je représente pour eux. On a la sensation que la patience des gens est limitée et que le handicap l'use un peu plus chaque jour. Comme une épée de Damoclès qui menacerait de trancher un fil extrêmement fin. Évidemment, c'est une sensation très anxiogène qui donne l'impression que nos amitiés, nos relations de toutes sortes sont vouées à se dégrader peu à peu jusqu'à l'échec Ce moment où la personne « pète un câble » parce qu'elle ne supporte plus de s'occuper de toi, de vivre avec toi.

Concrètement, on a peur :

- Que nos professeurs nous rejettent parce qu'on représenterait un poids trop important dans une classe

- Idem dans les activités sportives ou artistiques, surtout si on les pratique avec des valides

- Que nos amis/nos camarades de classe trouvent contraignant de nous fréquenter, surtout s'il faut adapter les jeux, les activités, le quotidien...etc

- Que nos (futurs) copains/copines/partenaires/conjoints ne supportent tout simplement pas la vie avec le handicap.

- Parfois même, on culpabilise de demander de l'aide au quotidien à notre famille, à nos parents, nous nous sentons coupables de constater qu'ils doivent faire plus d'efforts pour assurer notre scolarité, notre avenir...etc

- Mais cela s'applique aussi lorsqu'on recherche un emploi ou que l'on se porte volontaire pour n'importe quelle activité (associative, par exemple). Ne va t-on pas davantage gêner qu'aider ?

Ce sentiment de culpabilité nous pousse à adopter plusieurs comportements :

  • Travailler plus/surinvestir

    Cela est particulièrement vrai dans la scolarité et au travail. La peur de n'être vu que comme un poids peut pousser certains élèves à travailler beaucoup, parfois jusqu'au surmenage. Si cela peut donc avoir des effets « positifs » en apparence, il convient de savoir rassurer ces élèves sur leur légitimité à être là afin qu'ils ne nuisent pas à leur santé physique et mentale.

  • S'effacer

C'est une attitude que j'utilise inconsciemment depuis mes premières années d'école et dont j'ai beaucoup de mal à me débarrasser aujourd'hui. Faire oublier le handicap (et la contrainte qu'on représente) en se faisant oublier soi-même. Être le plus discret possible. Ne pas se faire remarquer. Cela pourrait se résumer ainsi : Si personne ne nous remarque, on ne gêne personne.

  • Renoncer

Cela consiste tout simplement à « s'auto-saboter » et à faire passer les autres avant soi. Je pense que mon handicap représente (ou va représenter) une gêne trop importante pour les autres dans tel contexte alors je n'ose pas m'y présenter/je ne candidate pas à cet emploi/je ne vais pas commencer ce sport/je quitte les lieux avant que ça empire..etc. On pourrait penser que c'est la solution « de facilité », mais ça nous oblige souvent à faire un gros sacrifice, à renoncer à quelque chose que l'on voulait faire pour éviter de nuire au confort d'autrui.

  • Multiplier les excuses

« Pardon », « je suis désolé », « excuse-moi »... La culpabilité nous pousse à multiplier les mots d'excuse dès que l'on a l'impression que notre handicap gêne, parfois jusqu'à l'absurde.

Bien entendu, cette culpabilité n'est pas saine pour l'estime de soi. Et surtout, elle n'est pas réellement provoquée par le handicap. Elle est provoquée par la société non adaptée et validiste. Si l'environnement était adapté à nous, nous n'aurions aucune raison de nous considérer comme des poids. L'aide donnée aux personnes handicapée est encore trop souvent vue comme de la charité. Un effort et un privilège que l'on consent à faire parce qu'on est bien gentil. Alors que ça devrait être quelque chose de normal et de naturel.

Ainsi, les enfants handicapées grandissent dans la culpabilité et se considèrent d'eux-mêmes comme des « boulets » pour leur entourage, ce qui a des conséquences jusqu'à l'âge adulte.

Alors, si vous êtes parent d'un enfant handi, faites comme ma mère et répétez souvent à votre enfant :

 

«Ce n'est pas de ta faute.»

«C'est à la société de s'adapter à toi, pas l'inverse.»

«Tu es légitime à être aidé, ce ne sont pas des privilèges.»

«C'est le travail de ton professeur (ou autre adulte) de s'adapter.»

Sachez que ça ne suffira pas forcément. Mais c'est déjà ça. Parce que si vous ne le faites pas, on lui dira le contraire.

PS : La prochaine fois, je parlerai du manga et de l'animé A silent voice qui explore ce thème de la culpabilité et du handicap. D'où le choix de l'image qui illustre ce billet. Je vous conseille de le lire ou de le voir si ce n'est pas encore fait.

 

Image : Libre de droit/ Flickr/ inigo_montoya_es4

 

 

 

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Commentaires
L
Bonjour,<br /> <br /> <br /> <br /> Je trouve cet article très intéressant car en tant que professeure, nous pouvons avoir ce genre de posture culpabilisante sans forcément en être conscient et le rappeler, c'est très bien! <br /> <br /> <br /> <br /> Merci. <br /> <br /> <br /> <br /> J'ai partagé votre article à mes collègues avec qui nous avons montés des classes pour les élèves à "besoins spécifiques" comme on dit dans l'Education nationale (en 5ème et 4ème), pas forcément reconnus par le milieu médical. On voit clairement qu'il y a des besoins surtout de la part des élèves, il est nécessaire voire vital que l'on s'adapte à eux. En effet, soit on s'adapte peu ou pas vraiment à leurs besoins, soit, pire, on ne fait rien sous prétexte que l'on n'a aucune compétence dans ce domaine... <br /> <br /> <br /> <br /> C'est un vaste sujet et un vaste chantier que l'inclusion. <br /> <br /> <br /> <br /> En tout cas, continuez à nous éclairer et à nous montrer le chemin.<br /> <br /> <br /> <br /> Bien à vous,<br /> <br /> <br /> <br /> L
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L
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour ce blog et ces articles qui vont surement aider mon fils de 13 ans à se sentir moins seul. Est-ce que la partie 2 de l'article est parue?<br /> <br /> Belle journée !
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